Comme je vous l’avais annoncé, c’est en pensant aux 20.000 motards réunis en ce jour en Bretagne à Porcaro autour de la Madone que je souhaitais vivre cette eucharistie .
Immanquablement me reviennent les images de cette foule immense de motards réunis dans une même prairie pour célébrer l’eucharistie et se tourner vers Marie en ce jour de sa fête. Bien sûr tous n’ont pas la même ferveur évidemment mais pourtant la plupart n’attendent qu’une chose, c’est de passer auprès d’un prêtre pour recevoir de Dieu sa bénédiction. Pour certains, ça fait partie des activités du rassemblement de Porcaro comme la prière pour les motards défunts ou blessés, comme la procession derrière la Madone pour l’approcher de la chapelle des motards. L’an dernier, j’ai passé deux heures et demies non-stop à bénir les motards et on était 5 à le faire ! Des instants très courts de rencontre, avec ou sans passager, dans les vapeurs des pots d’échappements et des moteurs un peu chauds d’attendre leur tour. Juste le temps d’échanger quelques paroles, pas le temps de débattre sur les raisons de leur foi et de leur démarche. Pourtant beaucoup de chose se disait à travers les yeux de chacun ; il y en avait en larmes ! Des larmes de quoi ? D’émotion, ou de joie, ou de ces larmes qui viennent en pensant à un copain motard disparu, ou de ces larmes qui jaillissent après en avoir bavé après un accident et liées au bonheur de remonter en moto ! Que sais-je ?
Enfin ce peuple de motards réunis pour cette grande occasion de prière m’interpelle toujours. Je me demande qu’est-ce qui peut bien les pousser et les attirer à faire autant de kilomètres pour venir se recueillir auprès de Marie ? Pourquoi se veulent -ils aussi proche d’elle ? Je suppose que ce n’est pas uniquement parce que Marie se déplaçait sur un âne que les motards trouvent en elle une bonne copine de voyage !
Alors pourquoi ? Peut-être justement parce que Marie est quelqu’un qui voyage. On l’entend dans l’évangile aujourd’hui : Marie se mit en route ! Et de nombreuses fois dans sa vie, elle se mettra en route, que ce soit pour sauver son fils ou pour l’accompagner de bout en bout dans les surprises de la vie. Et dans tous ses voyages, Marie fera des rencontres ; parfois heureuses et joyeuses comme avec sa cousine Elisabeth ; parfois plus compliquées ou carrément difficiles comme au pied de la croix. Marie est donc quelqu’un comme chacun de nous, comme chaque motards qui fait du chemin, qui voyage de rencontre en rencontre, d’évènements sympathiques en moments tragiques. Et l’essence de son moteur, de son cœur d’or, c’est d’être habité par une foi solide et un amour à toute épreuve envers son Dieu. Tout se passe et se vit dans l’amour avec lui. Elle est ainsi une ressource d’espérance inépuisable pour ceux qui veulent faire route avec elle, et par elle, avec son fils pour aimer comme il a aimé.
Ainsi donc, au moment même où nous fêtons Marie, nous célébrons aussi ce salut dont Dieu couronnera nos vies, nous fêtons notre propre salut. Marie, en entrant dans la gloire tout comme son Fils, voit se réaliser en elle ce qui est notre avenir.
Ce départ signifie encore autre chose. Son Assomption est une Visitation. Quand Marie était visible, femme de notre terre, on ne pouvait la rencontrer que dans les rues de son village. Maintenant qu’elle « a été prise dans la gloire », elle n’a plus besoin de voyager. Dans la communion des saints, elle nous visite de l’intérieur, sur place.
L’Assomption, c’est une visite de Marie au-dedans de nous, dans nos maisons, dans nos paroisses, sur nos motos, partout où Dieu demeure. Elle a quitté la surface, le visible superficiel, mais c’est pour rentrer dans la profondeur, en Dieu ! Alors, dans la foi et dans la joie, redisons pour nous le mot d’Elisabeth : « Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ! »
En cette fête de l’Assomption, prions pour celles et ceux qui sont confrontés à de lourdes épreuves : décès, maladie, accident, solitude, violence, guerre, famine... Prions pour celles et ceux dont la foi vacille. Prions pour qu’ils puissent aussi entendre des paroles fortes, à la mesure des épreuves qu’ils traversent. C’est souvent vers Marie que les plus souffrants se tournent. Au pied de la croix au Golgotha, Marie a été confrontée à l’épreuve et sa foi sans faille ne fut sans doute pas toujours une évidence.
Le mot « Assomption » trouve son origine dans le mot latin « assumere » qui signifie « assumer », « prendre avec ». Nous reconnaissons que Dieu prend Marie avec lui. Mieux encore, il assume, il prend à son compte, il prend sur lui toute la vie de Marie. Toutes ses joies, ses peines, ses souffrances, ses questions sont assumées par Dieu, portées par lui.
Ainsi, la foi en la résurrection proclamée par saint Paul dans la seconde lecture n’est pas seulement l’espérance d’une vie après la mort, mais la conviction que rien de ce que nous vivons ici-bas n’est étranger à Dieu et que chaque instant est appelé à être assumé, plongé, pour l’éternité, dans la miséricorde et l’amour de Dieu.
La vie de Marie fut discrète. Les évangiles nous donnent peu de détails et les quelques paroles qui nous sont rapportées témoignent toutes de son désir de rester dans l’ombre et de s’effacer devant son Fils. « Faites tout ce qu’Il vous dira » dira-t-elle. Dans le Magnificat, elle se présente comme « l’humble servante ». La fête de l’Assomption nous révèle la grandeur de toutes ces vies cachées, mais pourtant si décisives. La lumière de la résurrection bouleverse l’ordre établi. Le regard de Dieu s’est posé sur Jésus rejeté et crucifié. En lui, il se pose sur Marie, mais aussi sur celles et ceux qui n’ont peut-être pas réalisé de grandes œuvres, mais qui ont surtout beaucoup aimé. Leur foi a peut-être été un combat quotidien. Leur espérance a peut-être été mille fois ébranlée. Il leur est même peut-être arrivé de tomber. Mais aujourd’hui, à la suite de Marie, nous reconnaissons que leur vie est pour toujours entre les mains de Dieu.
Abbé Francis LALLEMAND aumônier des motards